Communiqués

18 Jan, 2011 Communiqués, Publications

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Tribune ADH/ENA/AATF publiée dans Le Monde : défense du concours & service public

Le concours est le meilleur garant de l’égalité et de la diversité

Pour la première fois, les représentants des hauts fonctionnaires issus des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales et de l’hôpital public souhaitent s’exprimer d’une même voix pour défendre le principe du concours et une certaine idée du modèle du service public français.

Ceux qu’on appelle les «hauts fonctionnaires» sont aujourd’hui souvent décriés. Décriés pour l’endogamie supposée de leur recrutement – chacun répète à l’envi les analyses jadis exprimées par Pierre Bourdieu et jamais vraiment revisitées –, décriés encore pour les errements ou les échecs d’une poignée d’entre eux à la tête de quelques grandes entreprises – avec toujours les mêmes exemples, le plus souvent fort anciens, qui sont ressassés à l’infini –, décriés encore et toujours pour leur prétendue incapacité à s’adapter aux nouvelles contraintes qui s’imposent à la société française.

A intervalles réguliers paraissent des ouvrages qui instruisent le procès à charge de telle catégorie de fonctionnaires ou de telle administration. S’impose progressivement l’idée, parfois entretenue au sein même de l’appareil d’Etat par des rapports très «sollicités» de commissions ou de structures de réflexion, selon laquelle les cadres supérieurs du public seraient le produit de formations dépassées et immuables qu’il conviendrait de mettre rapidement au rancart.
Nul n’ignore la profonde transformation qu’a connue l’économie française depuis ces trente dernières années, sous l’effet d’une ouverture grandissante aux échanges économiques mondiaux. Nous ne sommes plus au temps de l’Etat-providence et des grands commis tout-puissants. Nul n’ignore davantage que la formation des cadres supérieurs publics doive évoluer profondément dans ses méthodes. Elle ne cesse de le faire, d’ailleurs, depuis des années, sans bruit et sans fracas, mais avec constance et efficacité.

Les scolarités ont profondément évolué, elles se sont rapprochées, elles doivent le faire encore. Nos méthodes rénovées commencent d’ailleurs à intéresser sérieusement de nombreux pays anglo-saxons, ces fameuses puissances libérales qu’on nous propose sans relâche comme modèles indépassables, mais dont les zélateurs français ne perçoivent pas eux-mêmes les évolutions rapides, et la capacité non moins rapide à se remettre elles-mêmes en question.

Fondamentalement, les difficultés rencontrées par l’école et le système de protection sociale, les deux pierres angulaires de la société française d’après-guerre, ne manquent pas d’interroger la pertinence de l’action étatique et de ceux qui en ont la charge. De même, l’accumulation des déficits publics, la faible croissance de l’économie française renforcent les critiques vis-à-vis de ce modèle interventionniste qui a connu son apogée durant les «trente glorieuses».

Mais pourquoi ces interrogations devraient-elles entraîner la remise en cause du concours comme mode de recrutement initial et celle d’une certaine spécificité des formations adaptées aux métiers préparés ? Certaines écoles de service public sont déjà sommées de s’aligner sur les paramètres les plus caricaturaux des formations propres aux dirigeants du secteur privé, allant même jusqu’à la négation revendiquée haut et fort des spécificités du service public !

C’est ainsi que l’Ecole des hautes études en santé publique pourrait devenir le laboratoire d’une transformation radicale qui serait généralisée aux autres grandes écoles. Cette évolution, à la fois sournoise et déterminée, a un dénominateur commun : la substitution progressive à la culture du service public d’un véritable dogme, présenté abusivement comme libéral, qui encourage notamment le recours plus marqué aux contractuels pour le pourvoi des emplois d’encadrement publics ou la promotion, dès la formation initiale, de méthodes inspirées directement du «new public management» des enseignements des écoles de commerce.

Nous sommes bien confrontés à deux idées reçues qui ne sont en définitive que des leurres : Le secteur privé aurait le monopole de la performance et de l’efficience, et diriger une organisation publique ou privée ne présenterait pas la moindre différence. Dans le même temps, la récente crise financière a démontré qu’une politique de la table rase ne pouvait être menée en la matière.

La déconnection entre la bulle financière et l’économie réelle, la nécessité d’un garant en dernier ressort dans les relations économiques, le rôle des services publics comme stabilisateurs automatiques – notamment en faveur des plus démunis – ont revalorisé l’intervention publique dans son ambition la plus haute, la cohésion sociale.

Un mécanisme de recrutement des élites fondé sur le mérite et l’intérêt général 

Les écoles de service public sont, plus que jamais, un élément central du modèle républicain. Notre démocratie a laborieusement, mais obstinément, imposé au fil des décennies un mécanisme de recrutement des élites qui est fondé sur le mérite et la prédominance de l’intérêt général. S’il n’est pas parfait, ce système reste le meilleur garant de l’égalité d’accès aux emplois publics et de la représentation de la société dans sa diversité. Son remplacement par un autre mécanisme de sélection et de formation qui serait totalement arbitraire, ouvert aux influences politiques et reproduirait les plus larges inégalités sociales, entraînerait des changements profonds dans notre société, changements qui ne sont pas souhaités par une immense majorité de nos concitoyens. A raison : ils ont mis fin à ce modèle monarchique il y a déjà bien longtemps…

Dans ce contexte, nous tenons à promouvoir la spécificité de la formation des cadres supérieurs publics, dont les écoles constituent le creuset unique d’une culture transversale. Il s’agit bien de défendre l’égalité d’accès aux carrières publiques, la sélection sur concours étant la seule voie naturelle et équitable de la promotion sociale.

Encore une fois, les écoles n’ont pas hésité à faire évoluer leurs effectifs, à réformer les scolarités dispensées aux élèves fonctionnaires, à revoir les modalités d’accès pour tenter d’enrayer un processus incontestable de «reproduction des élites» dont l’origine renvoie à l’ensemble de notre système éducatif, à l’Université – voire à la société toute entière – et non aux seules écoles de service public ! Ces réformes doivent être poursuivies dans le sens d’un rapprochement constant des formations et des carrières, de façon à être le plus compétitifs possible en Europe et dans le monde.

Dans ce contexte des concurrences accrues entre les formations, il serait désastreux pour la France de démanteler sa haute fonction publique et les écoles qui la forment. L’imitation servile et mal informée est la pire des impostures. Comment peut-on ignorer à ce point que Harvard, Oxford, les grandes  universités» étrangères si souvent citées en exemple sont en réalité elles aussi de «grandes écoles», mais qui n’offrent pas les mêmes garanties d’équité et de promotion sociale que les nôtres ?

Le pilotage des administrations publiques doit s’appuyer sur une culture partagée de l’institution, un sens du service et la poursuite de l’intérêt général, notions qui loin d’être obsolètes, retrouvent aujourd’hui une actualité aiguë. Les responsables de l’Etat et de ses établissements publics, des hôpitaux, des collectivités, ne se sont pas engagés dans ces missions par hasard : ils sont collectivement attachés aux valeurs et à l’éthique républicaine du service public, sentiment très largement partagé comme l’attestent régulièrement les baromètres de l’opinion.

Il faut en finir avec ce discours dogmatique et moralisateur qui, prétendant se vêtir des atours de la modernité libérale, nous ramène en réalité à de bien vieux corporatismes et à la tentation éternelle de la sélection par la richesse et par la faveur. Il suffit de regarder autour de nous et de réfléchir un instant : veut-on jeter véritablement le concours républicain aux orties, et promouvoir en contre-modèle la prédominance de l’argent et des réseaux ? Ce ne sont pas des vérités qu’on nous assène ; ce sont des «modes idéologiques» qui trop souvent nous gouvernent et nous aveuglent. On commence à s’en apercevoir sérieusement dans les autres pays. La France serait-elle une fois de plus en retard d’une guerre ?

Jean-Christophe Baudouin est président de l’Association des administrateurs territoriaux de france (AATF) ;
Jean-Luc Chassaniol est président de l’Association des directeurs d’hôpital, élèves et anciens élèves de l’EHESP (ADH) ;
Arnaud Teyssier est président de l’Association des élèves et anciens élèves de l’ENA (AEAEENA).
Jean-Christophe Baudouin, Jean-Luc Chassaniol et Arnaud Teyssier

Voir en ligne : Article ADH-ENA-AATF-Le Monde 17 01 11